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En utilisant un atome artificiel dans le diamant comme détecteur de champ magnétique ultrasensible, des physiciens ont imagé pour la première fois le champ de fuite rayonné par un composé de la vaste famille des antiferromagnétiques. Cette observation leur a permis d’étudier l’effet d’un champ électrique sur la modulation sinusoïdale de l’ordre antiferromagnétique dans un matériau multiferroïque.
Alors que les physiciens disposent d’un grand nombre de techniques de microscopie pour analyser les propriétés des matériaux ferromagnétiques – lesquels sont devenus omniprésents dans notre vie quotidienne (moteurs, transformateurs, mémoires…) – la très vaste famille des matériaux antiferromagnétiques reste en revanche très difficile à étudier. Dans de tels matériaux, l’alignement antiparallèle des spins résulte en une aimantation quasiment nulle, conduisant à des champs de fuite extrêmement faibles qui ne peuvent pas être détectées par les techniques de microscopie magnétique conventionnelles. Seules des méthodes de caractérisation lourdes, par exemple basées sur les neutrons produits par des réacteurs nucléaires ou sur des sources de rayonnement synchrotron, permettent d’extraire de façon indirecte des informations sur leurs propriétés magnétiques aux échelles nanométriques. Les composés antiferromagnétiques restent ainsi mal compris. Ceci constitue un problème considérable à l’heure où les physiciens nourrissent l’espoir que l’utilisation de matériaux antiferromagnétiques puisse permettre de dépasser toutes les limites auxquelles sont confrontés les dispositifs spintroniques à base de composants ferromagnétiques, en offrant des capacités de stockage plus denses, en raison du très faible champ de fuite, mais également un accès plus rapide aux données à faible coût énergétique.
En exploitant l’extrême sensibilité d’un magnétomètre quantique basé sur un centre coloré NV individuel dans le diamant, une équipe de chercheurs associant le laboratoire Charles Coulomb de Montpellier, l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales, le C2N, le CEA et SOLEIL à Paris-Saclay et l’Université de Bâle en Suisse, a imagé la champ de fuite rayonné par l’ordre antiferromagnétique dans un matériau multiferroïque, le BiFeO3. La cartographie quantitative de champ magnétique est réalisée à température ambiante en mesurant le décalage Zeeman de l’état de spin électronique d’un centre NV unique à l’aide d’une excitation simultanée par un laser et un champ radiofréquence. Le centre NV est implanté à l’extrémité d’une pointe en diamant, laquelle est intégrée dans un dispositif de microscopie à force atomique afin de pouvoir balayer la sonde NV à la surface de l’échantillon antiferromagnétique. Les images magnétiques obtenues révèlent sans ambiguïté l’existence d’une modulation sinusoïdale de l’ordre antiferromagnétique dans un film mince de BiFeO3, avec une période d’environ 70 nm. Une analyse détaillée de l’amplitude du champ magnétique a permis d’identifier une source inattendue de moments magnétiques non compensés. Ils pourraient résulter de l’exaltation d’une interaction de type Dzyaloshinskii–Moriya causé par la brutale rupture de symétrie d’inversion à la surface de l’échantillon. Outre son ordre magnétique, le BiFeO3 possède également un ordre électrique (il est ferroélectrique) qui permet de contrôler la direction des spins par application d’une tension de quelques volts. Les chercheurs ont pu également caractériser en détail les modifications de la structure de spin sous tension, ouvrant ainsi la voie vers l’étude de nouveaux nano-objets magnétiques se formant par exemple à l’intersection entre deux sinusoïdes antiferromagnétiques, créables et effaçables à volonté par application d’un modeste champ électrique. Ces travaux publiés dans la revue Nature illustrent de façon frappante le potentiel des capteurs quantiques pour explorer des problématiques de la physique de la matière condensée.
(gauche) Un atome artificiel (centre NV représenté par la flèche verte) inséré dans une pointe en diamant est utilisé pour cartographier le champ magnétique rayonné par un matériau antiferromagnétique. Sous excitation radiofréquence, l’amplitude du champ magnétique est codée sur l’intensité fluorescence du centre NV illuminé par un laser vert. (droite) Cartographie quantitative du champ magnétique produit par la modulation sinusoïdale de l’ordre antiferromagnétique dans un film de BiFeO3 d’épaiseur 30 nm.
Contact chercheur :
Vincent Jacques, Chargé de recherche CNRS
En savoir plus
Real-space imaging of non-collinear antiferromagnetic order with a single spin magnetometer
I. Gross, W. Akhtar, V. Garcia, L. J. Martinez, S. Chouaieb, K. Garcia, C. Carrétéro, A. Barthélémy, P. Appel, P. Maletinsky, J.-V. Kim, J. Y. Chauleau, N. Jaouen, M. Viret, M. Bibes, S. Fusil et V. Jacques
Nature (2017), doi:10.1038/nature23656