Laboratoire Charles Coulomb UMR 5221 CNRS/UM2 (L2C)

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Chiralités multiferroïques révélées par diffusion résonante de rayons X

par Christelle EVE - publié le

Une étroite collaboration entre plusieurs groupes de l’Université Paris-Saclay à savoir : la ligne de lumière SEXTANTS (Synchrotron SOLEIL), le SPEC (UMR3680 CEA-CNRS), l’Unité mixte de physique CNRS/Thales et le Laboratoire Charles Coulomb (CNRS/Univ. Montpellier), a conduit à des avancées substantielles dans la compréhension des chiralités ferroïques dans un oxyde multiferroïque* complexe en combinant plusieurs approches avancées telles que la diffusion résonante des rayons X (REXS), les techniques d’imagerie de laboratoire (microscopie à force piézoélectrique et magnétométrie NV à balayage) ainsi que des simulations atomistiques de la dynamique de spin. Ils ont révélé la présence d’objets antiferromagnétiques chiraux périodiques ainsi que d’enroulements électriques chiraux le long des parois de domaines.

La chiralité, un concept scientifique fondamental, est l’ingrédient clé des objets magnétiques récemment découverts appelés skyrmions. Ces skyrmions sont observés dans les matériaux ferromagnétiques, où les spins des atomes voisins ont tendance à s’aligner dans la même direction. Dans ces skyrmions, l’orientation des spins tourne continuellement de la direction ascendante au bord de la texture circulaire, à la direction descendante au centre, ou vice versa. L’enroulement du spin peut être vers la droite ou vers la gauche, définissant sa chiralité. Ces textures topologiques particulières sont très stables, comme un nœud dans une corde mouillée. Elles rassemblent de multiples atouts tels que leur dynamique rapide, leur intégrabilité et leur faible énergie de manipulation, de sorte qu’elles sont considérées comme l’avenir du stockage magnétique de données. Néanmoins, la plupart des substances magnétiques ne sont pas ferromagnétiques mais antiferromagnétiques. Louis Néel, qui a découvert les antiferromagnétiques, les qualifiait de "beaux et inutiles", comme il l’indiquait dans sa conférence pour le prix Nobel. Cela pourrait être injuste car les antiferromagnétiques sont insensibles aux champs parasites et pourraient fonctionner à des fréquences 1 000 fois plus rapides que leurs homologues ferromagnétiques. Les textures chirales antiferromagnétiques auraient alors le dernier mot, ouvrant la voie à la spintronique antiferromagnétique.

Les multiferroïques sont des matériaux dans lesquels coexistent plusieurs ordres ferroïques couplés tels que l’antiferromagnétisme et la ferroélectricité. Un couplage magnéto-électrique entre les deux ordres conduit à la formation de structures de spin non colinéaires qui rompent la symétrie d’inversion spatiale et permettent ainsi un contrôle du magnétisme par un champ électrique. BiFeO3 est l’archétype du multiferroïque à température ambiante. La compétition entre les interactions d’échange symétriques et asymétriques fait tourner ses spins dans une cycloïde chirale magnétique, cette dernière pouvant se propager dans différentes directions. Lorsque plusieurs vecteurs de propagation se rencontrent au niveau des parois de domaines, des embryons de skyrmions antiferromagnétiques se forment. Dans les films minces multiferroïques de BiFeO3, un réseau périodique de domaines formant de longues bandes ferroélectriques est imprimé sur l’ordre antiferromagnétique, forçant les cycloïdes avec différentes propagations à fusionner dans un nœud chiral. Plusieurs techniques expérimentales révèlent l’ordre électrique et magnétique, la REXS (Figure a) permet, en particulier, d’accéder à la chiralité de ces deux ordres.

Figure a : Principe de l’expérience REXS

Les mesures REXS dichroïques au seuil K de l’oxygène révèlent d’abord la chiralité de l’ordre ferroélectrique grâce à l’inversion du contraste dichroïque. La diffusion des rayons X magnétiques au seuil L du fer révèle l’ordre magnétique et la présence de deux cycloïdes hébergées dans chaque domaine ferroélectrique et se propageant dans des directions alternées. Ces mesures dans l’espace réciproque (Figure b - gauche) sont corroborées par la magnétométrie NV à balayage qui donne une image dans l’espace réel (Figure b - droite) et les simulations. Grâce au flux élevé de photons, le motif diffracté révèle également la présence de bulles chirales antiferromagnétiques périodiques formées par la couture de cycloïdes antiferromagnétiques aux parois des domaines ferroélectriques.

Figure b
A gauche : Diagramme dichroïque diffracté au seuil L3 du fer (les points intérieurs révèlent les bulles chirales antiferromagnétiques dans l’espace réciproque)
A droite : Imagerie par magnétométrie NV à balayage (bulles magnétiques chirales apparaissant toutes les deux parois de domaine dans l’espace réel)

Par conséquent, les deux paramètres d’ordre semblent être chiraux et leur comportement couplé aux parois de domaines ouvre une nouvelle voie de recherche.

Dans une perspective plus large, le dichroïsme en diffusion résonante des rayons X est une approche unique et puissante pour explorer la physique de la chiralité et la topologie des structures ferroïques complexes (magnétiques, électriques, multiferroïques). Enfin, les expériences REXS pourraient être étendues à des expériences résolues dans le temps caractéristiques des synchrotrons et des lasers à électrons libres, permettant ainsi l’exploration sans précédent de la dynamique chirale.

* Matériau dans lequel coexistent plusieurs ordres ferroïques couplés tels que l’antiferromagnétisme et la ferroélectricité

Remerciements :

Conseil européen de la recherche (ERC-StG-2014, Imagine)
Agence nationale de la recherche (ANR) à travers les projets Multidolls, PIAF et SANTA ainsi que le "Programme transversal CEA ACOSPIN et ELSA"
Ces travaux ont également bénéficié d’une subvention publique pilotée par l’ANR dans le cadre du programme "Investissements d’Avenir" (LABEX NanoSaclay, réf. ANR-10-LABX-0035)


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