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En observant les instabilités de l’interface entre de l’eau et une solution aqueuse de particules colloïdales, des physiciens ont pour la première fois mesuré de façon précise la tension de surface entre deux fluides miscibles.
Alors que l’interface entre deux fluides non miscibles, tels l’huile et l’eau, est bien nette, il en est autrement lorsque l’on met en contact deux liquides susceptibles de se mélanger. Progressivement, le phénomène de diffusion brouille l’interface jusqu’à ce que celle-ci disparaisse totalement. L’étude d’une telle interface reste toutefois possible pour des durées courtes devant le temps caractéristique de la diffusion des particules qui composent les fluides. C’est ce qu’ont réalisé des physiciens du L2C (équipe Matière Molle) en mesurant pour la première fois de façon précise la tension de surface, c’est-à-dire l’élasticité de l’interface entre deux fluides miscibles : de l’eau et une solution aqueuse de particules colloïdales. Ce travail, publié dans la revue Physical Review Letters, confirme les prédictions théoriques du physicien et mathématicien D.Korteweg, datant de plus de 100 ans et qui n’avaient pas encore pu être mises à l’épreuve des expériences.
La surface d’un liquide ou l’interface entre deux liquides non miscibles se comporte comme une pellicule élastique, responsable de la forme sphérique des bulles de savon ou des petites gouttes d’eau. Cette « pellicule » est caractérisée par son élasticité, aussi nommée tension de surface. Qu’en est-il lorsque l’on met en contact deux fluides miscibles ? Il y a plus de 100 ans, D. Korteweg a proposé qu’une tension superficielle effective régisse le comportement de l’interface entre deux fluides miscibles sur des échelles temporelles courtes devant la diffusion moléculaire. Jusqu’à présent, l’existence même d’une tension superficielle entre fluides miscibles est restée controversée et la théorie de Korteweg n’a pas pu être mise à l’épreuve des expériences. Pour répondre à cette question, les physiciens ont utilisé une suspension de particules dont le diamètre est de l’ordre de 200 nanomètres. D’une taille 500 fois plus grande que les molécules d’eau, ces particules diffusent bien plus lentement : l’interface entre de l’eau et une solution de ces particules ne s’estompe qu’au bout de quelques centaines de millisecondes. Les chercheurs ont confiné une suspension de colloïdes entre deux plaques de verre distantes de 0.5 mm et ont injecté de l’eau à travers un trou percé dans la plaque supérieure. Au fur et à mesure que l’eau avance dans la suspension colloïdale, plus visqueuse, l’interface entre les deux fluides est déstabilisée. Sa forme, initialement circulaire, présente ensuite des lobes caractéristiques, à cause d’une instabilité hydrodynamique pilotée par la compétition entre la différence de viscosité et la tension superficielle entre les
fluides. En comptant le nombre de lobes, il a été possible de mesurer la tension superficielle effective et de vérifier sa dépendance avec la concentration des colloïdes, prévue par la théorie de Korteweg. Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension de nombreux phénomènes où la tension superficielle entre substances miscibles joue un rôle primordial. Des exemples incluent la nucléation de cristaux à
partir d’un fluide surfondu, les motifs formés par des roches fondues lors de phénomènes volcaniques ou encore la mise en forme de mélanges polymériques en science des matériaux.
Cellule de Hele-Shaw vue d’en haut. A : eau colorée injectée dans la suspension B à travers le tuyau C. Les lobes observés à l’interface entre A et B sont dus à une instabilité hydrodynamique pilotée par la tension superficielle entre la suspension colloïdale et l’eau, deux fluides miscibles.
L’article de Physical Review Letters :
Actualité diffusée par l’INP-CNRS
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